[Downtown] Boite : Blue Seagull

Roy fut tellement surpris qu’il en oublia de continuer à danser et s’arrêta net.

- Flic ? Whaouw, celle-là je l’ai pas vue venir.

Réalisant qu’il s’était arrêté, il se remit à danser et espéra ne pas avoir vexé sa partenaire.

- Enfin, je veux dire… C’est très bien la police. C’est courageux. Tu fais partie du MPD alors ?

Hilare grâce à son petit effet, Bouchra laissa son partenaire se reprendre avant de répondre à sa question.

- Non je suis en vacance pour quelques jours. J’ai fait mes études à Seattle et suis restée vivre là-bas. J’ai seulement fait un stage ici en dernière année de droit, et le lieutenant m’avait encouragé à poursuivre dans cette voix mais je voulais être avocate. Mais ne trouvant pas de cabinet, j’ai passé l’examen d’inspecteur et j’ai fini par faire mon trou.

La musique baissa d’intensité et les couples s’enlacèrent. Aussi gêné l’un que l’autre, Bouchra et Roy décidèrent sagement de retourner à leur place alors que leurs amis profitaient du moment.

- Et toi, tu n’as jamais eu envie de quitter Miami ? demanda-t-elle pour briser un silence qui aurait été gênant.

Roy répondit à Bouchra avec humour.

- J’ai quitté Miami : j’ai vécu à Fort Lauderdale pendant trois ans.

Le slow ne dura pas très longtemps et les autres couples rejoignirent Bouchra et Roy à leur table.

- Vous n’avez pas fait le slow ? demanda Leslie qui tentait de rassurer son mari un brin possessif.
- Attention Roy, embraya Mary-Ann, tu vas te mettre le maire de Seattle à dos.

Les filles éclatèrent de rire pendant que Roy et Jesus se demandaient ce qui se passait.

Bouchra se joignit aux rires, et soupira.

- Je ne peux plus me permettre ce genre de soirée à Seattle. Trop de ragots colportés par des journaleux en quêtes de potins. Si vous saviez ce que ça me manque, parfois… Flute, voilà que je deviens émotionnelle. Faut remédier à ca très vite.

Elle termina son verre et l’agita devant Jesus avec un clin d’œil.

- Je t’ai connu plus attentif aux besoins des dames. Le mariage ne te réussit pas…

Une fois le verre re-rempli, elle le leva pour porter un toast.

- Aux retrouvailles. Vous m’avez manquez les filles… et vous aussi messieurs.

- Oui Madame, répondit Jesus avec un grand sourire.

Leslie l'aida à abreuver tout le monde et, quelques minutes plus tard, tout le monde trinqua avec Bouchra. Leslie répondit au toast avec son virgin mojito.

- A notre prochaine soirée, qu'on ne mettra pas si longtemps à organiser.
- Hear, hear. répondirent les autres convives en choeur au toast combiné de Bouchra et Leslie.

La soirée était déjà bien avancée et les petits eux de Leslie indiquaient qu'elle n'allait plus traîner.

- Je ne vais pas tarder à vous laisser. Faut que je sois en forme pour mes nausées matinales.

Voilà un toast qui faisait chaud au cœur. Et Leslie avait raison, elles ne devaient pas attendre presque dix ans pour se retrouver.
La soirée s’étirait et Bouchra se sentait dans du coton. Effets cumulés de l’euphorie des retrouvailles et de l’alcool. Elle retourna plusieurs fois sur la piste en compagnie de Roy, de Jesus, ou d’une des filles. Finalement, la future maman annonça son prochain départ et les autres approuvèrent.

- La prochaine fois, J’espère bien que ça sera pour votre mariage, confia-t-elle à Marie-Ann et Eun Mi.

Mais le propriétaire avait prévu une dernière surprise avant leur séparation.
Il fit un signe en direction du DJ qui leva le pouce et changea de musique. Les premiers accords firent éclater le groupe de rire. Evidemment le patron avait tout prévu et, goguenard, il tendit un micro au petit groupe qui s’empressa de brailler les premières paroles.

Can't stay at home, can't stay at school
Old folks say, ya poor little fool
Down the street I'm the girl next door
I'm the fox you've been waiting for

Hello Daddy, hello Mom
I'm your ch ch ch ch ch cherry bomb
Hello world I'm your wild girl
I'm your ch ch ch ch ch cherry bomb

Stone age love and strange sounds too
Come on baby let me get to you
Bad nights cause'n teenage blues
Get down ladies you've got nothing to lose

Hello Daddy, hello Mom
I'm your ch ch ch ch ch cherry bomb
Hello world I'm your wild girl
I'm your ch ch ch ch ch cherry bomb

Hey street boy whats your style
Your dead end dreams don't make you smile
I'll give ya something to live for
Have ya, grab ya til your sore

Hello Daddy, hello Mom
I'm your ch ch ch ch ch cherry bomb
Hello world I'm your wild girl
I'm your ch ch ch ch ch cherry bomb

Déchaînées, elles terminèrent la chanson en ondulant, debout sur la table. Les deux garçons avaient bien du mal à cacher leur hilarité mais n’en perdirent néanmoins pas une miette. Pas plus que les autres clients du bar qui approuvèrent le show en hurlant et sifflant.

- Je devrai te faire un procès pour abus de faiblesse sur des jeunes filles innocentes, fit l’inspectrice en serrant le barman dans ses bras pour le remercier. Merci pour cette soirée Jesus. Prend bien soin de ces furies ok ?

Il ne lui restait plus qu’à prendre un taxi pour rentrer. Elle passerait récupérer la moto demain matin.

- Ne t'inquiète pas, répondit Eun Mi, dès qu'on a la date tu auras ton invitation dans ta boîte aux lettres.

Danser en s'oubliant sembla faire du bien aux quatre filles, une bonne façon de se défouler et de décompresser. Pendant deux minutes et neuf secondes, elles furent l'attraction du bar, de vraies stars.

- Coupable, reconnut Jesus en se laissant enlacer par Bouchra. Ca fait du bien de te revoir ici. Je compte sur toi pour repasser nous voir quand tu es dans le coin.

Après les aurevoirs, Leslie se dirigea à pied vers son appartement non loin de là. Roy la raccompagna sur un bout de chemin. Mary-Ann, Eun Mi et Bouchra allaient partager un taxi sur une partie du trajet quand elles furent interrompues par un cri strident. Un hurlement très long qui glaça le sang de Bouchra et qui, heureusement, venait de la direction opposée qu'avaient pris Leslie et Roy. Le cri ne devait pas venir de plus de deux blocs de là.

Un peu grisée par l'alcool et le bon moment passé, Bouchra était soudainement ramenée à la réalité.

L’air frais, en sortant, fit du bien à Bouchra qui inspira à plein poumon. Elle n’avait pas autant bu depuis longtemps et ses jambes la portaient difficilement. Mais si elle arrivait dans un tel état chez sa mère, elle aurait droit au mieux à un silence réprobateur, et au pire à une longue diatribe sur les bonnes raisons de l’interdiction de l’alcool chez les « bon » musulmans. Elle récupéra une petite bouteille d’eau dans son sac et se rinça la bouche avant de prendre un chewing-gum à la menthe en jetant un regard vers ses deux amies hilares.

- Oui je sais, je dirige une équipe de police criminelle et je me comporte comme une ado…

Elle allait ajouter une explication oiseuse lorsque un cri retenti. Sans réfléchir, elle s’élança dans la direction du hurlement, l’adrénaline dissipant, en partie, les effets de l’alcool. Se pouvait-il que le tueur vaudou est frappé si près d’elle ? Géographiquement, c’était cohérent avec le meurtre de la nuit dernière. Heureusement que Roy était parti à l’opposé, il ressemblait, par certains côtés, à la victime.
Mais deux meurtres rituels en 24 heures… c’était extrêmement court.

Mary-Ann et Eun Mi se mirent à courir avec Bouchra. Deux blocs plus loin, elles tombèrent toutes les trois sur une femme d’une quarantaine d’année, debout face à une ruelle sans éclairage, elle était prostrée en fixant une silhouette sombre au sol. A côté de la silhouette, un petit brasier fumait et faisait émaner des odeurs de plantes aromatiques et, un peu plus loin, Bouchra repéra une silhouette qui venait de passer au-dessus d’une grille et qui se mettait à courir dans la direction opposée.

- Appelez le 911 ! cria Bouchra a ses amies qui courraient avec elles.

Théoriquement, elle aurait due leur donner plus de conseils mais n'en avait pas le temps. Sans réfléchir, elle reprit sa course à la poursuite de l'ombre qu'elle avait appercue.

- Stop ! Police ! hurla-t-elle.

Tout en escaladant la grille à son tour elle se fit la réflexion que si son adversaire se retournait, elle serait bien en peine de faire quoi que ce soit. "Tu vas faire quoi", se demanda-t-elle, "l'étourdir avec ton halène de poney ?"

Les filles obéirent à Bouchra, elles restèrent dans la ruelle et Mary-Ann sortit son téléphone pour appeler les secours.

Bouchra, elle, n’était pas aussi souple et rapide que celui qu’elle poursuivait. Le temps qu’elle passe de l’autre côté du grillage, il avait mis une sacrée distance entre eux. Elle repéra malgré tout qu’il s’agissait d’une silhouette masculine, des cheveux bouclés.

Il grimpa sur une moto, démarra en trombe et disparut avant que Bouchra ne puisse relever le numéro de plaque.

En reprenant son souffle Bouchra vérifia l’heure sur son téléphone. Il devait y avoir des caméras de sécurité dans les rues autour d’elle. Avec la bonne plage horaire, il serait aisé de retrouver le fuyard.

La course et l’adrénaline lui avait un peu éclaircie les idées. Elle revint rapidement vers la ruelle en regrettant de ne pas avoir son insigne. Mais il était bien sagement rangé dans son casier, en compagnie de son arme de service. Tu parles de vacances !

Une fois sur place, elle alla inspecter la scène et vérifier l’état de la victime, même si elle savait pertinemment quoi s’attendre.
Ensuite elle prendrait une photo de la scène et l’enverrai au sergent Basurto, avant de l’appeler directement.

En arrivant sur la scène, Bouchra trouva le cadavre poignardé et lacéré d’une jeune femme. Le mélange d’herbes continuait à brûler dans le petit brasier. Elle reconnut des vévés dessinés à la craie, il y avait celui de Papa Legba et celui de Damballa. Il y en avait un troisième qu’elle n’avait jamais vu auparavant qui semblait représenté une croix entourée de deux cercueils.

La femme qui avait hurlé était sous le choc, Eun-Mi était en train de la réconforter. Mary-Ann raccrocha et confirma à Bouchra que la police était en route.

Bouchra envoya la photo et, quand elle téléphona à Basurto, il fallut pas mal de sonneries avant qu’il décroche.

- Oui ?

- Mobasheer, se présenta Bouchra rapidement. Je suis près du Blue Seagull. Jetez un œil à la photo que je viens de vous envoyer, vous allez comprendre.

Si elle avait bien jugé le sergent, il sauterait dans sa voiture pour la rejoindre. En attendant les secours elle se dirigea vers le témoin.

- Bonsoir, dit-elle doucement. Les secours sont en route, avez-vous besoin de quoi que ce soit ?

Plusieurs questions se bousculaient dans sa tête et elle se retint à grand peine de les poser. Elle était, non seulement, hors juridiction mais en plus fortement éméchée. N’importe quel avocat de la défense aurait beau jeu de frapper de nullité n’importe quelle preuve ou témoignage qu’elle pourrait obtenir.

Basurto ne répondit pas tout de suite, sans doute le temps de jeter un œil sur la photo que Bouchra venait de lui envoyer.

- J’arrive, dit-il avant de racrocher.

La femme était complètement en état de choc.

- Elle est… Elle est… ?

Elle n’arrivait même pas à prononcer le mot.

Bouchra approuva de la tète à la question.

- Oui, je suis désolée.

Elle enleva sa veste et la posa sur les épaules de la femme en étant de choc. L’adrénaline affluait toujours dans ses veines et l’empêcherait d'avoir froid. Ni tenant plus, elle se décida finalement à poser une question.

- Vous la connaissiez ?

Question simple, mais qui pouvait amener suffisamment de paroles pour qu'elle se fasse une idée de la scène qui s'était jouée ici.

- Non, répondit la dame sans quitter le cadavre des yeux, je viens de sortir du Seagull. Je passais par là.

Les filles se regardèrent en entendant les sirènes se rapprocher et quelques instants plus tard, deux patrouilleuses du MPD arrivaient sur place. Parmi les policiers qui sortirent, deux d’entre eux se dirigèrent tout de suite vers les jeunes femmes avant de poser les yeux sur le cadavre.

- Ecartez-vous s’il vous plaît.

Bouchra se releva après avoir adressée un sourire au témoin. Puis elle s’adressa aux hommes qui venaient d’arriver.

- Lieutenant Mobasheer, de Seattle. Je suis arrivée en entendant els cris de mademoiselle. J’ai aperçu une silhouette qui s’enfuyait dans cette direction, mais il s’est enfui sur une moto avant que je puisse faire quoi que ce soit.

Apres ce court résumé elle les laisserait faire en attendant l’arrivée du sergent. A leur place, elle n’aurait que modérément apprécié la présence d’une touriste sur les lieux.

- Vous avez relevé le numéro de plaque ? demanda l’un des policiers.

L’autre poussait gentiment les dames pour qu’elles reculent et laissent suffisamment d’espace pour la scène de crime.

Une autre patrouilleuse arriva et deux autres policiers étaient sur la scène de crime. Ils commencèrent à dérouler le ruban jaune après que l’un d’eux eut bien vérifié que la victime était décédée.

Enfin, la voiture de Basurto arriva sur les lieux. Il en sortit visiblement mal réveillé et montra sa plaque aux agents en uniforme avant de se diriger vers Bouchra.

- Vous faites des heures sup’ même en vacances ?

Bouchra secoua la tête à la question sur la plaque puis attendit sagement l'arrivée du sergent.

- Je m'en serai bien passée, répondit-elle en indiquant le corps. Mais j'ai aperçu le tueur. Et vu la précipitation avec laquelle il est parti, je doute qu'il est mis son casque. Si il y a des caméra alentour, vous devriez pouvoir le repérer facilement.

Elle mit un nouveau chewing-gum dans sa bouche et respira profondément. La suite n'était pas très glorieuse.

- Par contre, je dansai sur une table d'une boite pas loin il y a moins d'une demi heure. Si on ne veut peux courir aucun risque avec la procédure, je ne peux pas participer à grand chose ce soir. Je peux observer, vous donner des avis, mais surement pas parler aux témoins ou toucher quoi que ce soit, ok ?

Et pourtant, elle se sentait claire comme du cristal, mais une analyse sanguine aurait sans doute raconté autre chose.